Flèche

À la fin le type ceinture
L’extrême pointe verticale

D’un édifice urbain
Conçu pour le plein ciel

Flèche industrielle ou
L’aiguille d’une cathédrale

On ne peut pas être
Plus coupé de tout

Qu’accroché au métal
Dans cet océan d’air

Ventre et ongles
Agrippés à la pente

L’effarement de l’œil
Boxe le cerveau

De distances en kilomètres
Et la vision narquoise

De quelque soudure
Affreusement tangible

La solution maintenant :
Venir jusqu’au moment

Où ce cheveu dressé
N’était que le squelette

D’une illusion sphérique
Dans le petit matin

De l’architecte
Et l’odeur de son café

Et descendre jusque-là
S’en servir une tasse

Par l’escalier visible
Au travers le projet du cône.

8 novembre 2005, Douarnenez

Stéréotype

Elle s’était mise en danger
Dans une affaire de mœurs

Où j’avais trempé
Page trois du journal

Un numéro jamais sorti
De nos bousculades

Elle avait sa mentalité mâle
À cette époque-là

Entrer dans le corps de l’autre
Un pied par terre

Politique du moindre dégât
Vider la boîte d’allumettes

Dans des passades vives
Et les types les plus brefs

Mais elle avait l’outil
Pour les gazouillis de mouche

De l’affection durable
Dans des espèces d’avenirs

Je ne parlais pas assez vite
Pour avoir l’air de mentir

D’ailleurs je ne mentais pas
Elle s’était mise à l’amour

En page trois du moins
Voilà la version du journal

J’apprenais pour ma part
À lever la pellicule

Des flaques de sous-bois
Sans les déchirer

J’aurais pu l’écorcher
Elle avec la même délicatesse

Elle s’était mise en danger
Tout à fait renseignée

J’ai trouvé ça dans les archives
Et ça m’a ému, tu vois, ce risque.

19 octobre 2005, Douarnenez

Sous le matin

Sous le matin, le ciel est grumeleux
Je m’enroule dedans, nu parmi l’herbe

Cligne un œil, puis l’autre, ça ne passe pas
La densité du ciel n’est pas encore serrée

L’horloge dit qu’il est six heures trente
Douze étoiles plafonnent

La chouette module et s’enfonce dans le val
Un souffle passe sur les éveillés

Aux dernières nouvelles, le tissu du ciel
A quasi repris son tendu normal.

30 août 2008, An Ividic, 7h03

Pluie

Des petits plots d’énergie
Ont l’air de remonter de l’espace

Ce n’est pas qu’ils tombent
Ils sortent du monde

De la table, du toit
De la bassine en fer

Les constellations du ciel
Pètent par terre

La tour de contrôle est allumée
Quelqu’un fait les cent pas

Sur mon compte
Il est cinq heures, je ne dors pas

Des petites grossesses
Se jettent aux arbres, par en dessous

De très petits doigts pincent
Et détendent la peau du toit

Rangs, trilles, aperçus de musique courante
Petit bond d’un audacieux, petits flops

Micro-becs de gaz du côté
De la bassine blanche émaillée

Il est six heures
Et pour survivre au crible

On monte au grognard de la tour
Une écritoire. Et de la pluie.

2 août 2008, Pont l’Abbé, 6h22

Les accents

Tenir une veine
Dans l’organisme du langage

Comme on ouvrait des boyaux
Dans le gras de la terre

Naufragés béquillés
De minutes volontaires

Naufragés palpitants
Dans les asphyxies fortes

Mais l’organisme de la guerre
Dérive en deçà du courant

Et l’expérience des langues mortes
Doit nous tenir prudents :

Un jour l’organisme a muté
Et plus personne n’entend

Courir le long du pantographe
Sur le dos borné du train

Nos surfs enluminés d’accents
Étinceler le gras du langage.

31 aout 2005, Douarnenez

Chauve-souris

La chauve-souris
Voltige :
Difficile de saisir
Ce qui bouscule
Son vol alambiqué

Si l’on pouvait
Poudrer
Sa trajectoire
On la verrait
Prendre apppui

Sur un maillage
Cristallisé d’air chaud
Courir, jaillir
Se jeter sans bruit
De face en face

Il se peut
Que la majorité du monde
Attende, invisible
Que l’on y prenne pied :
On voit d’ici le tableau.

12 juillet 2005, Salasc

Sedov

La scène est étroite au salon du Sedov
Des détails ont péri

Derrière l’estrade un peu scolaire
Un piano raide s’adosse au bois

La petite musique narquoise
De la diplomatie déglutit

Vingt nobles chaises cerclent la salle
Le jeune monarque s’assoit

Le tout jeune homme a choisi
La seule assise qui fasse front

Il observe ses sujets
Descendre mal l’escalier droit

Eux ne voient rien et touchent et jasent
Comme dans un magasin pauvre.

19 juillet 2000 – Douarnenez

Dans la nuit du 12 au neuf

On entre au couvent pour la nuit
La garrigue a cisaillé les vitres

On est au balcon du vieux couvent
Débraillé comme un hôtel de passe-passe

On est au bord de la ville
L’air est cabossé comme l’eau courante

Un dépôt d’os magnétise l’arrière salle
Ici loge un gang de crânes

Ça sent la terre
Les ronces et la nuit descendent l’escalier

Puis tout l’air noircit et la ville se perd
Nous jetons nos bouffées sur les pauvres morts

Ça sent la terre et la pluie
La nuit parcourt l’hôtel

Dans l’arrière salle, Maguelonne nage nue
Et je vois la tendresse de notre espèce de bateau

On est au bord d’un lac gelé
Respirable et profond comme l’air

Assise au centre, Maguelonne, superbe
Décalotte avec les dents ses truffes au cacao

On est au bord du dallage froid
En bas la ville se déplie

On loge au vieux couvent désaffecté
Ça ferme avec un cordon de molécules d’alcool

Balcons fendus, fenêtres mortes
On est au bord de soi

On est au bord de la ville
Nos frissons se jettent aux oiseaux

Les ombres du plein jour partent au jugé
D’ici vers la ville

Oh, Maguelonne a la peau si tendue
Dans cet air explosible.

Sans date

Courant

La lionne brise l’antilope
Toute vie se transforme

Ça doit produire du courant
Pensais-je, sur le point de dormir

En l’inventant, Dieu n’a pas dû penser
Que l’on s’attacherait tant.

5 septembre 2008, An Ividic, 9h14

Se transporter

En 1492, le psychogéographe Christophe C. s’arrache au monde connu : il confie son organisme à l’idée que l’Ouest a de beaux jours devant lui.
Sur le plan pratique, sa thèse s’appuie sur la capacité des coques en bois à peu pénétrer la surface océanique et sur une grande confiance en la cinétique venteuse.
L’opération repose, en outre, sur la conviction qu’il est devenu impossible de tomber (d’une sphère). Tout va bien.

En 1492 du cathocalendrier, Christophe C. s’embarque avec une poignée de bras. Et pas mal de cuillères à soupe. Les premières plages sont mangées vers la fin de la même année.
Descendre des bateaux incarne illico l’Amiral (principe d’expansion des vanités dans le vide -ici un grand pan de Terres Nulles- et principe de condensation des lubies).
En réalité, Christophe C. ne s’est pas tiré du monde connu, il en a déplacé un peu. Constatant la chose, il se scinde en deux.

L’Amiral se ramène en Europe, son point de départ, muni d’un carnet d’adresses et d’attestations vivantes. Indigènes et perroquets béniront la Castille, berceau des actionnaires.
L’autre rédige, debout sur la plage lointaine, la formule continue par laquelle, aussitôt neuve, la conscience s’embue (principe de bouche bée). Il doit y être encore.
Deux ans plus tard, l’Amiral revient, parcourt la plage, cherche son double : le premier a vieilli, le second a poussé.
Un indigène sort du rideau d’arbres et remet à l’Amiral la moitié perdue du journal de bord local : une seule grande feuille d’un vert nervuré.
Il est connu que l’animal s’en fit presque tout de suite un chapeau.

Or, il suffit d’être couché pour voir les choses différemment. 
La joue sur l’oreiller, eh bien, le fauteuil, la table et l’escalier n’ont plus rien de si pratique.
Plus rien du tout.
 En dix minutes, le principe de l’homme vertical est à ce point devenu saugrenu que l’on perd encore deux secondes à se demander s’il faudra l’inventer.

Ou si le rêve en serait sympathique.

Sans date