Ça avance

Alors voilà comment ça se passe
Étranger ce matin au café d’un bled à platanes

Coulé sur un banc, j’attends qu’une inconnue
Se fende d’improviser mon enlèvement

Une jeune mère balaye d’un coup
De latte sa gamine déjà chiffonnée

Elle est folle, ce n’est pas un chien
Non, elle a eu peur qu’une auto lui fauche

Ce soir, logé dans un luxe rustique, à Lectoure
Gers, et discours afférents

On dirait la Toscane, grande maison
Tenues par des clartés d’aisance simple

Les chauves-souris se noient dans la piscine
En attendant l’invention des îles

Demain couché dans le fond du camion
Et les chutes de billes d’un orage plein d’eau

Quelque part du côté de Neuvic, Corrèze
Un morceau de route démontée

Plus tard au bord de ton cul
Et la bourre de plumes de tes bras

C’est évidemment là que je voudrais être
Quarante fois mille kilomètres

Ecrire m’a sauvé, me perd
Et ce n’est pas faute d’avoir essayé

D’être calme, d’être calme
D’être absolument refroidi, trente-sept virgule rien

Et puis deux nuits chez moi
Dans la caravane je dors comme un roi

Une espèce d’armoire garnie, rangée
Et tiède, parée pour l’hiver terminal

Ensuite un hôtel à eau chaude
Et verre à dents stérile jetable

Neuf heures au buffet libre-service
A lire le journal d’avant-guerre d’aujourd’hui

Etape chez quelqu’un, rarement la famille
Bilan, douche, chier, invasion quasi gratuite

Etape chez quelqu’un et je ne sais pas si j’aurais
Voulu tant d’amour à la maison

Car alors j’aurais pu devenir n’importe quoi
Et je n’aurais sans doute jamais dû écrire

Ou bien des trucs confiants, souples, des orvets
Des débuts d’épopées solaires montées en flash

Mais levé comme ça vient, un noeud dans la gauche
Du dos dissout à l’eau cinquante degrés celsius

Départ, voilà comment ça se passe
Quelquefois je voudrais être très paisible

Menuisier, cruciverbiste à la semaine
Dans une ville à rue principale

Et m’intéresser à la maturation
Des asperges et aux à priori de coiffeuses

A la maturation des à priori
A la transmutation du samedi (des coiffeuses)

Et pinailler sur de tous petits poèmes
Un millier d’heures par an

A cause de certains millimètres qu’il faut
Dans la transcription des beaux accidents

Et plus tard, brouter la terre
Avec encore en tête de trouver

De quoi ton bras gauche était plein
Et comment m’expliquer ta patience

Il faut terminer cette nouvelle tête de chapitre
Absurde et, oui, la chimie est instable

Mais se souvenir que la terre a déjà porté
Quelle invraisemblable quantité d’yeux

Aujourd’hui j’ai dormi dans une chambre
Garnie de dinosaures en bois

Aujourd’hui j’ai dormi dans un train
Aujourd’hui j’ai dormi, nous filons vers Port-Bou

Et toute la cuisine suit, monobloc
Et avance à grands trains de détails

Où la seule réelle perspective captivante
Est un bois miniature, ton antre

Et comme j’aimerais, ceci dit, pouvoir considérer
Cette infime déclaration comme finale

Mais l’on a beau dire, nous sommes sous l’emprise
Des hormones, beauté finale de la chimie.

22 juillet 2007, La Richevolte, Lectoure, 09h43

Début du chant

Vingt siècles et neuf ans
Deux points de croissance
Du côté du vent
La fenêtre semble étanche
Mais tout l’air y passe

C’était un hall sonore
Volume neuf très épais
Mais la seule chose charnue
Fut l’épais vent laminaire
Presque un soulèvement de chats

Dehors, zone éteinte
De la vie des horaires
Les tendeurs dinguent
Aux drapeaux du commerce
Et tout début du chant.

4 mars 2009, Pierrelaye, 1h17

Vacance

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes :

“Quel genre de bête devient-on ?
À manger tous les jours des nourritures vivantes

Du poisson de la mer tiède
Des fruits pléniers ? »

Le type est sorti de ses habitudes
La seule façon d’en faire le tour :

« L’arbre pousse en continu.
Imagine-t-on l’équivalent chez les grands mobiles ?

Un bras neuf sortant d’une épaule ?
Un orifice à air plus haut que le nez ?

Davantage d’emprise aux vents
Davantage de surface de peau

Espèce de grands plis dorsaux ?
Le même genre d’aptitude à cicatriser ?”

Une autre lubie croise la première
La seule manière d’observer l’échangeur :

“Et pas le secours d’une religion !
Les anciennes sont nocives

Les nouvelles sont coûteuses et n’ont pas atteint
Leur masse critique.”

Suivons cette deuxième boucle du doigt
Suivons cette deuxième spire :

“Nous travaillons, pardi !
Nous travaillons à quelque nouveau mythe

Et cette profession n’est pas inscrite
Au répertoire des métiers

Et si l’on peut espérer toucher
Un assez vaste auditoire

-Assez vaste ensemble de tables de nuits-
Ce n’est qu’une ambition de donneur d’air.”

On change de cavalière, sauts d’orbite
Ça commence à valser :

“Nous avons nos restes d’éducation
Qu’est-il bon d’en garder ?

Quoique l’ensemble adhère de la même manière
Le dispensable et l’adopté

Ce travail de crible
Est l’occupation la plus tenace qui soit.”

Une autre boucle attaque, entame
L’espace aérien, au nord de Kiev :

“Nous visons d’habiter -est-ce raisonnable ?-
Où les nucléocrates ont trébuché

Ce serait bien paradoxal, mais
Se peut-il que l’avenir y soit moins anxiogène ?

Ou que l’abandon du terrain
Par les forces vives modernes et leurs trains

Rhinocéros, leurs trains rhinocéros
-La boucle entraîne le doigt-

Nous paraissent rendre possible
Quelque expérience de colonie rétrograde ?”

De boucle en boucle, nous avons atteint
Sinon la boucle-mère, du moins quelque vieillarde

« Suis-je plus inquiet
Que les Juifs transis d’Albert Londres ?

Suis-je moins inquiet
Que les crabes rouges et noires des Salines ? »

Les pieds dans l’eau molle au sud
D’une des îles Caraïbes.

19 février 2009, Keraudren, 23h14 – 6 juillet 2010, Arc-et-Senans

Bureau des plaintes

Elle s’est barrée de la cure
Et l’église liquide

Si j’avais besoin de voir Dieu
La porte est close

Déjà qu’il ne nourrit pas les chats
D’ici qu’il ne paye pas sa dette

A qui la faute
Cet éternel manque de moyen ?

Si on l’écoute, il n’y a qu’à se pendre aux poutres
Et ce n’est pas ce qui manque, remarquez

Je renonce à passer pour normal
Cette permanence est trop courte

Il te dit oui le lendemain non
Et mon reste de salade est mangé

La machine à laver branle tout l’étage
Je dis que ce n’est pas normal ces oiseaux

C’est ça, pose ta bouteille
De pinard sur le buffet

Elle s’est carapatée
Déjà qu’il est laid

Et ça ne m’étonnerait pas
Qu’elle me présente son futur

L’ancien toussait par quintes
Ah ça : jamais pressé d’ouvrir le guichet.

(Qui a brûlé le petit arbre ?)

26 septembre 2008, An Ividic, 9h35 – 30 juin 2010, Keraudren

Face

Les configurations les plus tordues
Concèdent une veine à la vie brute.

De quoi parles-tu ?

Les arborescences les plus vaines
Bricolent une vrille ascensionnelle.

A qui parles-tu ?

Les confusions les plus robustes
Cotisent toutes à un échappement.

De quoi parles-tu, Pascal ?

L’imbroglio le plus féroce
Trouve à s’auto-lubrifier.

De quoi parles-tu ?

Du moindre mal. Le pire
En produit toujours une goutte ou deux.

Il est si difficile d’y renoncer ?

Les cancers,
Une once de vérité.

Les guerres submersibles,
Leurs bulles indifférentes.

Les déconfitures froides,
Un goût de table rase.

Les corvées de soi,
D’ambitieux relevés. Poèmes ?

Voilà tout ton ciel ?

Et quant à se mettre à mourir
Cette face est fermée.

On l’a su ce matin
Dans un escarpement pénible.

Cette face est fermée
À nos décisions. Tant pis.

Merde au drame et voyons
À quel dégagement gazeux, ce sinistre mène.

21 août 2008, An Ividic, 12h52

Figures et fils

Figures et fils, quoi dire ?
Tête cousue, buée noire
Afflux d’air nerveux
Trou de plein front

Figure et fils, copeaux d’ongle en feu
Quoi dire ? Un doigt flambe, un oeil fond
L’odeur seule
Ouvre des brèches redoutables

Figures et fils, visages d’ambre
Et quoi dire ?
Quelle allure esquissée
Quelle idée de beau liège ?

Tout un attirail d’atomes neufs
Et l’énergie du jaune
M’irriguent à nouveau la tête, la langue
Et de carcasse en carcasse, j’avance.

9 septembre 1989, 1er avril 1991, 16 décembre 1995

La vie migre

Parfois, dans les tubes de peinture, grouille
Empêtrée d’huile, une vie que la toile accueille

Sans savoir que j’allais à moi
Je vins vers vous, par les crocs

L’avenir est vide, c’est délicieux
Puis d’innombrables songes tracent

Je vins vers vous, je ne mène à rien
Mais je peux me seconder

Ma fée marche, le bois se déplace avec elle
Rien ne m’est précieux comme sa fraternité.

Sans date, Douarnenez

A défaut

À défaut de comprendre
On ne comprend que tard

Nous essayons des méthodes
Pour calmer l’éruption

Untel s’accommode de boire
Untel inspire par le ventre

Le vent déplace les arbres
Et moi, je ne dors pas

Un futur livre explique ça
Je ne sais pas qui l’écrit.

18 août 2008, An Ividic, 1h39

La chambre

Maintenant qu’elle est morte
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle est à l’ombre ici
Sous l’église grise
Le ciel est gris je n’aurais pas cru
Que tu viendrais tu vois

Arrivée du curé
Vous êtes idiots ?
Il pousse de la chaussure le capot
De la boîte en pierre
Elle arrive dans deux jours
-Qu’est-ce que tu veux dire ?-

Il détortille de la croix
Une fleur d’argent crassouze,
Te l’offre dans une phrase
Vermeil merveille
Tu grattes : c’est sa montre
Qui commence à battre

Maintenant qu’elle est ailleurs
Il faut l’attendre et où ça donc
Deux pleins jours
Il y aurait bien quelque chambre
Là-haut admet l’homme de main
De Dieu, pour aider un vieux

Une chambre blanche
Une table sous la fenêtre
Prenez votre temps
Dans les étages
Pour descendre à la soupe
Mais je ne l’écoute plus

Donnez-moi du papier
Que je regarde un peu la formule
D’en mettre deux
Dans le monoplace funéraire
Ou n’importe quel autre nouveau
Début d’histoire d’amour

Puisque c’est le pouvoir d’écrire.

31 octobre 2009, Keraudren, 10h23