De chez JuriGène™

Et au réveil en somme il était mort
Ainsi se termine l’étrange histoire
Du type construit par JuriGène™
Un type affreux vous pouvez croire

En fait on voudrait se demander
Pourquoi vers la fin il a laissé
Au fils, au père, ses poursuivants
La possibilité de le fiche bas

Le fils l’a manqué, le père est derrière
On avait si peu de munitions (quatre)
Le fils flanque dans la porte la dernière
Le type de chez JuriGène™ a gagné

Et pourtant le voilà calme et couché
Et le père a tout loisir d’arracher
Du chambranle la flèche explosive
Et de lui planter plaf dans le cou

À bout portant à bout portant
On a beau sortir de chez JuriGène™
Les yeux fermés, paisible et dégagé
Au réveil, en somme, on est mort

Je sais je sais on ne devrait pas
Tirer le portrait d’un mercenaire
Avec mystère, mais pour en dire ici
Davantage il faudrait l’inventer.

Penvenan, 6 février 2008

Les mouches

Un jour
J’ai fait une boucherie de mouches
Avec une écramouillette
En plastique
Ça m’a guéri d’en tuer plus
Je ne saurais dire pourquoi

Mais il vrai qu’ici
Nous n’en avons guère plus
De cinq à la fois
Et qu’il nous est loisible
De les voir audacieuses
Officielles et véloces

À une époque
J’en enrôlais
Dans des espèces de cirques
Je les voyais capables
D’étirer dans tous les axes
La fort complexe
Géométrie spatiale
À qui nous offrons parfois
Nos légers sommets

Je reconnais
Qu’une seule suffit
À bousiller la sieste

On voit bien qu’elles utilisent
Des méthodes de nouage
Inconnues

On voit bien qu’elles s’adonnent
À des géographies
Sans persistance

Mais comme pour la chauve-souris
La mouche, moins sauvage
Laisse après elle
Ce bref historique du geste
Par lequel on peut présager
De la sous-structure polycristalline
Du monde entier
C’est-à-dire
Sans suite ni terminaison.

7-13 août 2007, Kergloff-Vihan

Égal à deux

Au fond, je me fiche

Quand j’additionne
Les plats de minutes
Passées dans l’actualité

À m’empiffrer de petites choses
Bien volatiles
D’obtenir moins d’éclairage

D’obtenir moins d’éclairage
Qu’à partager, disons
Deux petits tours de tronc

De la vie d’un arbre
De la vie si solide tard le soir
Sur une pelouse urbaine

Ou bien d’aboutir
-Tous calculs vérifiés-
A moins d’appétit pour la suite

Qu’à pinailler deux minutes
Aux marées hautes
D’un seul buisson

– Trois insectes filaires
Et une goutte de pluie
Rencognée dans un pli –

Je me fiche au fond
Quand j’additionne
C’est imparable

Mais l’ensemble des phénomènes
Égale toujours à deux
Je veux dire un chiffre rond

Virgule quelque chose
Je ne dis pas qu’il faille
Sortir de table

Je dis que tout cela
Produit bien d’une buée
Qui m’encrasse

Et me saoule.

24 juin 2007, au cinéma Rexy, Tours

Golem

Alors le maître glissa le plat du pouce
Au front de la bête

Une dernière fois
Et le sachant, s’émut

Un instant, qui dû paraître
Un début, c’est-à-dire

Photographie de l’éclosion
D’une bulle de glaise

Alors la bête, sans une hâte
Dit : maître, votre dernier voeu m’a

Alors la bête tressaillit
Maître, votre dernier voeu m’a

J’ai voulu te donner d’être tendre
Dit le maître sachant qu’Elle ne finirait pas

Et il y avait dans la créature
Tout l’arc vertébral

Et le tout début du baiser
Dans l’atroce de sa bouche

Et l’humidité sourdait d’Elle
Petit œil de sève de la prune

Et parfois dans le haut du ciel
Et parfois dans les remuements

Maître, votre dernier vœu m’a
Mais lui ne put soutenir son regard

Ni l’entendre s’arrêter davantage
Ni risquer la moindre cruauté

Avec un mot de courage
Ou quelque bonne perspective pour le tard.

23 juillet 2006, Colognac

Bombes

L’église est bombardée de très haut
Dards minuscules d’une rare densité
Tirés au rythme d’un par an
Mille ans par nuit

Les fumées planent, horizontales
Je lui en montre les rubans
L’impact est redoutable
Le ciel absolument bleu

D’abord, elle ne me croit pas
Puis des plaques perforées
Tombent à plat
Incandescentes et voraces

L’église est la proie de la vitesse
Le village, d’une ruée de plomb
Nous n’essayons pas de filer
Le bulbe du clocher éternue en dedans

Des fragments d’enveloppe en métal
Tombent à une allure de feuille
Peau morte de l’armure
Quelque part accroupie là-haut

On ne voit rien venir
Et ça nous entre dans les pieds
Sans voir l’humble trésor de nos peaux
Il est trop tard il est trop tard

Il est trop tard il est trop tôt.

9 octobre 2005, Faches-Thumesnil

Hôtel

Dans la chambre d’hôtel
On pose ses affaires sur la table

La fenêtre est à peine ouverte
Il est assez tard

De la lumière passe encore
Entre les pans d’immeubles

On est seul ici avec quelque chose à finir
Les commodités n’ont pas d’attrait

On ne retournera pas au bar
On n’allumera pas la télé

On transporte avec soi l’essentiel
Dans un ordinateur en métal

Fin mars
On a passé le ciel à la serpillère

Il fait beau comme au futur été
Pas assez chaud pour trainer dehors

Avec la nonchalance que l’on aime
On a passé vingt minutes en bas

Acheté des cigares
Déployé les pages d’un journal

On a un peu lu en braille
Les aspérités de l’actualité

On a un peu détaillé
La conversation des types appuyés

Dans l’ambiance cordiale de l’heure apéritive
On a payé

La semaine suivante
On chercherait la plume et du papier.

31 mars 2005, Hôtel Astoria, Brest

Une ombre

J’ai vu la bête sans épaisseur
Le haut chien noir à tête de chat

Finir de traverser la route
Manger les phares devant moi

Et son ombre verticale très dense
Aussitôt glisser dans les buissons

Dont la maigre peau végétale
N’a pas pu frissonner comme moi

Ni tout de suite en l’absorbant
Ni maintenant que j’y pense

J’ai vu la bête sans épaisseur
Que l’autre fois j’appelais puma.

27 novembre 2004, Douarnenez

Sept vies

Au moment où nous entrons dans le boyau
Sale compagnie à tête de chien

Barda pour trois semaines c’est-à-dire
Sans soleil, sans pain, sans nuit

Quelque chose nous arrête, bruit d’aile
Ou battement artériel du terrain

Une épine épingle ton sac de combats
Et tu le vois, au ciel, un œil, non ?

Pour l’instant nous tenons la totalité du monde
Pourquoi nous entrons, qui sait ?

A-t-on besoin d’enfoncer des gars
Au flanc de la colline ? On l’a rasé déjà

N’attendons rien de l’officier qui sait
Nous marchons, verrons bien.

Au moment où nous sortons du boyau
Sale compagnie à tête de taupe

Barda pour plus rien, c’est-à-dire du chien,
Gale, soif, tourner après sa queue

Quelque chose nous empêtre, la broussaille
Minérale du soir, pleine d’yeux

La ronce assaille la crasse, huit semaines en bas
Et tout l’embarras du quant-à-soi

Pour l’instant, nous tenons la totalité du terrain
Pourquoi nous en sortons, qui sait ?

A-t-on besoin d’extirper les gars du flanc
De la colline : elle a déjà fermenté

N’attendons rien de l’officier qui savait
Mais respirons, verrons bien.

Au moment où nous explosons le boyau
Sale compagnie à tête d’emploi

Basta pour les enterrés, le monde est neuf
De ce côté nous avons faim

Quelque chose nous agace, un bruit d’aile
Et le sang cogne aux tempes, tu sais bien

Une épine te déchire l’oreille, nous surveillons
Du sommet, l’avancée de l’ombre

Pour l’instant, nous tenons la totalité du monde
Connu, pourquoi nous en sortons ?

A-t-on besoin de dissoudre ces grands types
Dans le silence d’oiseaux des collines ?

Ne voulons rien des derniers rayons,
Frémissons, frémissons, verrons bien.

29 mars 2004, 2h, Douarnenez

En résumé

Pour résumer les choses, l’ère informatique préfigure, avec ses images, ses schémas, son style de connerie, une nouvelle façon de comprendre notre présence au monde.

Pour résumer les choses, nous mâchons l’air et la plupart des détails s’en vont dans la déglutition. Nous pouvons verser le langage aux systèmes d’échantillonnage.

Pour résumer les choses, à ce stade du tralala quantique, je barbote dans ce système d’explication du monde depuis quatre mois et ça pourrait durer sans épuiser aucun détail.

Pour résumer les choses, le monde est indescriptible. Pour de nombreuses raisons, c’est insupportable et il faut opérer en continu des fixations déterminantes arbitraires.

Pour résumer les choses, il est anormal de chahuter ici des concepts arrachés à l’opacité du monde par la physique, à grandes lampées de fixatif et aux frais du contribuable.

Pour résumer les choses tout à fait, il devrait être entendu que l’ensemble des méthodes que nous employons à tout bout de champ pour résumer le monde n’est que cela.

Une espèce de tentative de garantir les affaires. Nous suggérons de bouger dans le brouillard, avec aussi peu de visibilité que dans le noir, mais sans craindre de tomber.

3 juillet 2004, 00h46, Douarnenez