Le boucher

Je m’entraine à contempler
Votre stupeur dit le boucher

Et à produire des émincés
De pensée vaine

Quand j’arrive à vous
Avec la tête sanglante

Et le tablier blanc assorti
Aucun n’ose rien dire

Quant à Monsieur Rimbaud
On lui scie l’os de la cuisse

J’y pense trois minutes
Scier de l’os vivant au 19ème

Mais n’importe où
L’herbe est toujours l’herbe

Avez-vous quelque chose
De difficile à déclarer ?

Quand j’ai traversé le mur
Moi je n’ai rien vu venir

Ici, il n’y a plus rien
Qu’un intense remuement d’air

Et deux silhouettes sonnées
Pourquoi voulez-vous

Jeune homme
Compliquer les choses ?

Nos yeux voient la couleur :
Le monde est coloré

Je transporte du cadavre
Et vos prochaines stupeurs

Et je m’entraine à contempler
Vos silhouettes

Et la fumée, ah la fumée…
Dit le boucher

En ouvrant la cage thoracique
D’une flamme de briquet

Ne croyez pas, comme je l’ai cru
Traverser difficile

Ne croyez pas, comme je l’ai cru
À l’aller simple

Ne croyez pas non plus
Ce que j’en dis

Le mur peut vous rester sur l’estomac
Précisément dit le boucher

Et il tâte l’image de la sentinelle
Toujours bloquée à mi-mur

Je vous détache un kilo d’air remué
Vous m’en direz des nouvelles

Mon discours est compliqué
Mais les enfants aussi

Doivent s’habituer
À la vie qu’on leur fait

Autant poursuivre
Si vous aimez la boucherie

Nous l’aimons, choses pour la bouche
Dit la sentinelle

Donnons du hachoir à ces os
Et voyons voir ce qu’il en sort

Quelle moelle s’en échappe
Et quelle mort frappe

Et si fantôme ou pas
Mais rien n’indique

Que les fantômes soient dépourvus
De squelette, bien vu

Pour un type entre deux
Dit le boucher

À la sentinelle toujours là
Au mitan du mur

On n’en sortira rien
À ce rythme-là

Hormis l’intense remuement,
Des centigrammes de pensée vaine

Et d’ailleurs,
On ferme maintenant.

8-24 mars 2004, Douarnenez

Musique : Miguel Constantino, voix : Pascal Rueff © 2004

Fauve

Un grand fauve se plaint
Sur l’autre flanc du lac :
On dirait qu’il aime un arbre.

Mais le fauve mange l’arbre.
Et tantôt il le dévore, oui
Et tantôt il les plaint.

10 février 2004, Lac de Chalain

Portes en Ré

Tables, meules, îles, plaques
Tornades, tourmentes

Famille, dont l’île
Est la moins entreprenante

Quelques-unes, très lentes
Braquent

Leurs caps charruent
L’eau transversale

Et le delta se vide en décembre
Halé par la tournure

Voyez comme elles opèrent
Leur quasi-révolution de planète :

Les îles respirent
Comme en hiver on respire

Un seul mot d’ordre :
Que rien à bord ne se déchire.

23 décembre 1999, Les Portes en Ré

L’examen Moyak

Photo Pascal Rueff

[L’orthographe et la ponctuation d’Andréa, hexapode robotisé, sont adaptées à son moteur de synthèse vocale]


PROLOGUE

[Andréa]
Les spectateurs, investissent les lieux. Les spectateurs, s’installent. Les spectateurs, occupent, l’espace.

[Sasha]
Notre hexapode est mentalisé par un processeur Bi-Kaltia3. Son espérance de vie est de quinze ans, soixante ans, ou trois cents ans ?
Et comme si la vie normale n’était pas assez compliquée, il faut regarder la guerre se curer les dents.
Mais le chômage n’est pas une fatalité. Approche mon garçon. Défait ta ceinture, que je jette un oeil à ton matériel.

[Andréa]
Les arachnophobes, ne risquent absolument rien. Mais le téléphone détruit la sensation de distance. Les spectateurs, s’installent.

[Sasha]
L’organisation mondiale préconise l’allaitement jusqu’à l’âge de quinze ans, au-delà même tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté sexuelle.
Durant la séance, le niveau d’écoute ne fera de mal à personne. Chers audiospectateurs… Par pitié, éteignez vos foutus téléphones. Ils recuisent les ovaires et les glaouis, disais-je à mes amies au collège. Elles m’écoutaient.
Néanmoins, la bouche ne doit être ni mouillée ni sèche.
Le porte-parole du Ministère des Trous a notamment déclaré :
Je peux vous assurer que par une température de moins dix, si vous devez travailler pour payer votre prochain repas, la saleté nucléaire est un facteur d’inconfort mineur. Négligeable.

[Andréa]
Chère Madame

[Sasha]
Comme convenu, veuillez recevoir, chère Madame, le détail de ma candidature… Si vous ne voyez pas que je suis le genre de personne idéale, que Dieu nous garde. Si elle n’est pas fatiguée, Dieu.
Le candidat se soumet à l’Examen de son plein gré.
Le candidat sait que sa moindre pensée va courir dans les câbles jusqu’aux oreilles du public et il y consent.
Oui.
Le candidat ne sait pas pour quel djob il joue, il ne connaît pas la durée du contrat et ne sait pas dans quel bout du monde on l’envoie.
Non, ne sait pas.
Et il y consent de son plein gré.
De tout son gré.
En vertu de quoi, le candidat peut demander tout ce qu’il veut. Jeudi dernier, un véritable artiste gagnait dix heures de travail et trente-sept kilos de raviolis. Bien joué ! Votre âme saura-t-elle toucher l’âme du public ? Êtes-vous prêt à vous soumettre à l’examen Moyak ?
Da.
Voulez-vous bien dire à haute et intelligible voix que vous comprenez dans quoi vous mettez les pieds, et que vous l’acceptez ?
Je comprends et j’accepte.
L’organisation mondiale préconise l’allaitement jusqu’à l’âge de trente ans. Et même bien au-delà tant qu’il n’y a pas d’ambiguïté sexuelle.
L’énergie est notre avenir. Économisons-le.
Éteignez vos téléphones portables. Ils contractent l’espace. L’illusion sonore n’est pas plus dangereuse qu’un verre ou deux.
Dans ce rêve, nous sommes deux, toi et moi. À trier la famille, en transit par tout un jeu d’escaliers.

[Andréa]
Les spectateurs, s’installent. Les spectateurs, sont venus rêver.

[Sasha]
Ce n’est pas dramatique.
Par ici, celles et ceux qui feront des petits. Par là, les avortements.
Par ici, celles et ceux qui feront des petits. Par là, les avortements.
Exercice d’articulation. Respiration vertébrale.
Nouvelle Agence Coloniale offre des postes de plusieurs semaines dans les secteurs crades.
Nous allons rêver, dans ce rêve l’homme est obsolète. C’est le rêve que l’on n’ose pas faire.

[Andréa]
J’aime les spectateurs.

[Sasha]
Il faut manger de l’ail.
Grâce à une molécule particulière, l’ail agit sur la peau délicate des asticots et les fripe.
C’est pareil avec les commerciaux. J’ai mis au point une molécule qui les fripe à 90%.

[Andréa]
Les spectateurs, parlent entre eux. Les spectateurs, attendent le début de l’émission.

[Sasha]
Exercice de parcimonie active.
On a quelque chose dans vos cordes, vous planterez des fourchettes. Il faut planter les dents en l’air. On ne vous le redira pas.

[Andréa]
Les vrais spectateurs, font les vrais rêves.

[Sasha]
Un peu après le 26 avril, Dieu descend voir tout ce bordel de l’accident ; il visite la centrale, les ouvriers, leurs descendants, les arbres, les poissons, l’interminable foutoir de sa création, ordres, sous-ordres, et tout ce qui doit se reproduire ; il lui faut deux jours pour retrouver sa manière de penser habituelle.

[Andréa]
Les vrais spectateurs, font les beaux rêves.

[Sasha]
Exercice de démolition.
Dieu se décide à solder sa créature de luxe. Il rédige une annonce.
Donne espèce sophistiquée, 35 000 ans minimum, état moyen, âme torve. Pas sérieux s’abstenir. Contacter ma pomme.

[Andréa]
Parlez, chers spectateurs, que j’aime entendre. Éteignez, veaux délicieux téléphones.
Les spectateurs, attendent, le début de l’émission

[Sasha]
Un jour que Dieu créait des mondes, il sentit que la conscience de soi, dont il tartinait ses animaux de luxe, causait presque toujours des problèmes, elle s’écaillait. Ça démangeait.
Dans son infinie sagesse, Dieu nous ôta de la vie commune. Il mit toute l’humanité dans un rêve qu’il créa exprès.
Nous sommes dans le rêve de Dieu, à nous gratter.

[Andréa]
Nous allons mettre les casques
Antenne, dans moins de deux minutes
Connexion imminente
Câble à gauche
Câble à gauche
Votre casque est un véhicule de transport assez fragile
Ne vous asseyez pas dessus
Réglez-le pour votre confort absolu
Au besoin, enlevez vos boucles d’oreilles
Les coussinets noirs, entourent vos oreilles
Le volume sonore ne vous fera pas mal
Et je veillerai sur vous
Câble, à gauche
Je m’appelle, An-dréa
Antenne, dans trente secondes
Si vous êtes sous l’emprise de l’alcool, ou de la drogue, ou de l’anxiété générale, souvenez-vous, s’il vous plait que certaines traditions humaines considèrent notre vie comme une simple illusion
Dix. Neuf. Huit. Sept. Six. Cinq…

L’île de T.

Photo Julien Lebfèvre

[Le décompte du nombre de jours depuis la naissance de l’île est variable.]

1ère partie : LE LABORATOIRE

[Morgane]
Il est temps d’ajuster les casques. Câble à gauche. Les câbles sont nécessaires, mais fragiles.
Nous sommes au vingt-et-unième siècle et nous avons d’autres chats sur le feu. Mais quelqu’un a jugé qu’il pouvait nous mettre avec vous dans le noir, un temps… Et qu’il pouvait y consacrer de l’électricité…
Éteignez les téléphones s’il vous plaît. Le dispositif est plutôt sensible.
Vous pourrez fermer les yeux. Votre propre noyau fournira l’image.
Cette chose, cette sorte de transport, à laquelle vous êtes conviés, est aussi bien boutiquée que possible. Aussi bien que nous en sommes capables, mon homme et moi. Ce n’est pas tout à fait notre métier. Il nous est arrivé quelque chose…
Sans électricité, ici…
Nous aurions, pour vous figurer l’Île, nos voix nues,
des souvenirs, des conserves – de tomates –, des foulards – de mémés –, un paquet de cigarettes, un bocal d’alcool… Un bouquin d’images pourrait circuler… Mais pas un coquillage où coller l’oreille.
Dans quoi bocaliser la rumeur du sol… de l’air, des feuilles ?
Un bocal de rumeur de feuilles…
La couche d’humus est exceptionnelle.
La région est agricole.
À quelques heures de vol d’ici.
Ça pourrait commencer comme une conférence de connaissance du monde, région lointaine dont on ramène des heures. Des blocs de temps sonore. Une île récente. Vénéneuse…
À quelques heures de nous…
Ça pourrait commencer comme une conférence de connaissance… de soi.
Lumière…

[Alfred]
On nous demande qui nous paye pour aller là-bas.
La vie nous paye.
9 septembre. Je suis allé mettre des pas dans l’ex-village de Bober. Comme on va mettre des fleurs au cimetière. Comme on irait mettre un peu de musique à Malenki-Minki.

[Morgane]
Alfred Tomosi. Son fantôme.
L’Île est tirée d’un journal de bord. Collection d’arrêts. Collections de minutes. Une sorte de campagne… de fouilles.
Ce mannequin est une sorte de… sonde ?
Je ne sais pas à quoi vous vous attendez…

[Pascal]
Le texte charge.
Un mot sur le dispositif…
Cette tête artificielle réplique les mécanismes de l’écoute humaine, laquelle est capable de localiser dans tout l’espace – avant/arrière, gauche/droite, haut/bas – avec seulement deux capteurs : gauche… et droite.
Cet espace tridimensionnel s’écoute au casque. C’est le système d’enregistrement le plus troublant que l’on connaisse : la chose sonore arrive au cerveau sous sa forme habituelle.

[Alfred]
On nous demande qui nous paye
Pour aller là-bas
La vie nous paye.

[Pascal]
Ce modèle est un HSU III, de chez HeadAcoustics. Sauvé de la casse. Tout le système auditif a été remplacé par du 4053. Il s’appelle Vlad. Vlad. Il a trempé dans l’Archipel. Il en sort. Il est probablement propre. Zéro virgule dix ou onze… Voilà.

[Morgane]
Vérifie, tu veux.

[Pascal]
Radiographie du sol… On dirait un oeil…
Une gosse, au bord de l’eau… Mille neuf cent quatre-vingts… Zéro virgule zéro neuf. C’est propre.

[Morgane]
L’alarme est à combien ?

[Pascal]
9…

[Morgane]
Il compte encore là ?

[Pascal]
12, 18…

[Morgane]
Il a pris ?

[Pascal]
Hum… Ça va.

[Morgane]
Ça nous laisse combien de temps ?

[Pascal]
Deux cents fois la dose… une heure et quelques.
Tout fonctionne.

[Morgane]
Mesdames et Messieurs… L’île de T.

Volatil

À mon âge
Il est temps d’enfler

Globuler du bide
Acheter des murs

Promettre aux gosses
La surcouche de moelleux

Penses-tu ! Je vaque
À secouer de l’air

Par le canal auditif
Six millimètres de diamètre

Pour débouler dans les cases
Du cerveau

Y purger des bouteilles
Remplies d’avant-hier

D’un certain monde entier
Et d’un certain manque d’appétit

Pour la conserve
En promettre aux gosses ?

Il faut être léger, volatil
Voilà l’héritage de papa

J’ai bien de la chance :
Assez souvent, je m’amuse.

23 mai 2007, Penvenan

Contact

J’arrête un couple
Dans la rue

Vous avez vu ?
Nous sommes là

On apprend
Dans le même temps

Que la terre
A été pénétré cette nuit

Toute surveillance tue
Par un arbre électrique

Comme elle n’en a pas subi
Depuis ses débuts

Et qu’un ministère
Prévoyant conserve

Douze heures intact
Dans un site secret

Du désert profond
À l’opposé d’ici

Une parcelle de ce contact
Sans équivalent

Et vous ? me disent-ils
Tandis que je m’éloigne

Vers un autre couple
Je n’y suis plus déjà

Je ne reste pas longtemps
Dans ce genre de rêve.

1 octobre 2005, Douarnenez

Dingue

Je vous regarde passer
Moi dangereusement détaché

On aurait des fronces au ciel
À bien regarder

Et des averses de caoutchouc
Les murs ont l’air souple

J’ai l’air de peser
D’un début de liquidité

En traversant la cour
Mais je m’en fiche

On a tout logé maintenant
Dans une tête d’épingle

On s’est condensé
Dans une seule granule

Il n’y a pas plus incassable
Dans le domaine humain

Et j’observe ma frange
Dangereusement détaché

Mais rien n’empêche d’avoir froid
À une extrémité

Soudain ou de s’empiffrer
De fumée je me demande

Si toute cette fumée en gelée
N’est pas le monde

Ou dans un état de stupeur
Qu’on n’aurait pas découvert

Ça dure comme ça veut
Ni froid ni confortable

Ni désastreux ni désespéré
On a l’air détaché du mur

De l’escalier, du chat, de soi
Minuscule œil perché

À se regarder passer
Dangereusement libre.

30 septembre 2005, Brest