Un train

Il paraît que les lumières
M’émerveillaient

Dans la nuit du train
Les lumières de Lyon

Les torchères de Feyzin
La loupiotte du carré

Je crois bien que
Je m’en souviens

À ce moment-là, j’entre
Dans le boyau nord-sud

Sur la dorsale du rail
Et je n’en sais rien

Je perds ma mère
Ça raye la nuit

Le lit file dans le midi
Avec un bruit de troupeau

Une joue de pâte à modeler
Contre la vitre

Et la bouche bée
Je me vois bien

J’ai dû aimer ce chahut
Très neuf accordé

À la cruauté du départ
De là à commencer

De croire que le monde
S’ébranle à juste titre

Il n’y a pas loin
Il n’y a pas si loin.

25 décembre 2005, Douarnenez

Demain prochain

Nos prochains territoires sauvages
Seront inhumains

À Tchernobyl, on inaugure un parc
Modèle

Je crains qu’il faille
Y frôler des fantômes

Je suis debout, habillé pour sortir
Dans l’appartement presque vide

J’écris sans savoir
Si quelqu’un pourra lire

Ni si l’an prochain
Nous laissera la parole.

10 mars 2007, Douarnenez, 3 heures 37

Golem

Alors le maître glissa le plat du pouce
Au front de la bête

Une dernière fois
Et le sachant, s’émut

Un instant, qui dû paraître
Un début, c’est-à-dire

Photographie de l’éclosion
D’une bulle de glaise

Alors la bête, sans une hâte
Dit : maître, votre dernier voeu m’a

Alors la bête tressaillit
Maître, votre dernier voeu m’a

J’ai voulu te donner d’être tendre
Dit le maître sachant qu’Elle ne finirait pas

Et il y avait dans la créature
Tout l’arc vertébral

Et le tout début du baiser
Dans l’atroce de sa bouche

Et l’humidité sourdait d’Elle
Petit œil de sève de la prune

Et parfois dans le haut du ciel
Et parfois dans les remuements

Maître, votre dernier vœu m’a
Mais lui ne put soutenir son regard

Ni l’entendre s’arrêter davantage
Ni risquer la moindre cruauté

Avec un mot de courage
Ou quelque bonne perspective pour le tard.

23 juillet 2006, Colognac

Défonce

Le lourd chalutier de guerre
Est sur sa rampe de lancement

Il n’est pas neuf, mais c’est pour lui
Le moyen sûr de gagner la mer

Ce matin, le moteur est insuffisant
On le pousse, on le force, on l’emballe

On n’y croyait plus
Enfin, le bâtiment s’ébranle

La rampe n’est pas disposée face au large
Mais perpendiculaire au quai d’en face

Le lourd chalutier de guerre
Entre dans l’eau à une vitesse infernale

Traverse le chenal sans le sentir
Traverse le quai d’en face : on s’épouvante

Les bâtis s’écroulent
Des parts d’immeuble tombent

Des fenêtres s’ouvrent
Sur la vie des gens, sur des chambres

Les rangs de murs s’affaissent
On craint pour toute l’existence du quai

La proue du navire emballé
Rien, jusqu’à ce jour, n’a pu l’arrêter

On nous présente un couple
Dans une chambre éventrée

Une assez grosse fée noire
S’active à nous le présenter

Lui est habillé à la mode bourgeoise
Des velours et du gras

Elle est toute jeune et son regard
Un peu flou, un peu perdu, un peu en dedans

Nous avertit qu’on a dû l’enfermer
Que penser de tout ceci, que penser de cette affaire ?

La charge du blindé a donné de l’air
Ce matin à une pauvre personne.

20 février 2006, Douarnenez

Burn Body Fat

Toute la peau pince
En dedans, se souvient

Des perspectives
De lumière crue

Intacte parmi l’ogre
Dont nous fûmes

Poignées de cheveux
Dans des galops crétins

Et je commence à voir

Ce que ce sera
L’hiver de la vie

Un poison plus massif
Que cet abrutissement-là

Moins passager
Que ce glacis sur la vitre

Notre petit imbroglio
Se sera tout dilaté

Demandez-moi d’où je suis
Par là, du système solaire

L’été pyrolyse chaque fois
Les cumuls de gras.

4 janvier 2006, Douarnenez

Flèche

À la fin le type ceinture
L’extrême pointe verticale

D’un édifice urbain
Conçu pour le plein ciel

Flèche industrielle ou
L’aiguille d’une cathédrale

On ne peut pas être
Plus coupé de tout

Qu’accroché au métal
Dans cet océan d’air

Ventre et ongles
Agrippés à la pente

L’effarement de l’œil
Boxe le cerveau

De distances en kilomètres
Et la vision narquoise

De quelque soudure
Affreusement tangible

La solution maintenant :
Venir jusqu’au moment

Où ce cheveu dressé
N’était que le squelette

D’une illusion sphérique
Dans le petit matin

De l’architecte
Et l’odeur de son café

Et descendre jusque-là
S’en servir une tasse

Par l’escalier visible
Au travers le projet du cône.

8 novembre 2005, Douarnenez