Le marché aux ours

On transite ici
Des bêtes énormes
On les bloque
Dans des cercles de neige
Avec une drogue
À la salive et des cris

Le Cercleur vocifère
Piétine, jette ses doigts
Par-dessus la neige
Dans l’église dévastée
Les enclos naissent
Autour des bêtes éperdues

L’apprenti grelotte
À la porte et dépiaute
Avec les dents
Les cônes acérés
Suc et cheveux
De l’arbre Eschtiévé

On transite ici
Des mâles énormes
Les vendeurs n’arrivent pas
Même à leur genou
Et le pas d’un enfant
Défoncerait la neige

On emmène les ours
Avec des mots
Débarder très haut
Des trouées dans l’hiver
Un homme agile
Une bête hébétée.

17 décembre 2004, Douarnenez

Fleurs de nuit

Elle a enlevé quatre boutons de jonquille
Au jardin de Roche

Ils sont fuselés et pleins
L’un s’est ouvert en notre absence

Et les trois autres dans la nuit
La peau du fuselage est passée

Dans le verre où ils trempent
Les fleurs dardent vers les pôles.

30 mars 2004

Trains de nuit

Prends le train sans escale
Pour huit heures du matin
Quand tu te couches
Règle la gare d’arrivée

Tu sais d’où tu pars
Tu sais quand descendre
Quelles régions tu traverseras
Le train n’en a même pas idée

Tu as vu les dépliants
Les annonces aguichantes
Les destinations, les publicités
Tu fumes à côté du guichet

Prends ton temps
Dehors, il pleut
On annonce l’approche du train
Les nerfs le savent

Vaste pluie bousculée
On pense à ces gens
Qui doivent y courir
Avec la pensée de s’abriter

On a baissé la lumière
-La gare ne fermera pas-
Mais le blindage du guichet
A mangé la voix du préposé

L’horloge électrique
Prends sa permanence
On est aussi seul que possible
Alors

Et si d’en convenir
Ne te dérange pas l’humeur, bravo
Les trains t’ont donné à aimer
Les régions mystérieuses.

28 octobre 2004, 0h37, Douarnenez

Agenda

Ce baiser, cette oreille, ce chien
Ce pneu, ce vin, ce feu
Ce soldat, cette faim
Ce microbe de rien
Ce tourment, ce livre, ma voix, ma main
Ce pétale, cet animal que-je-ne-connais-pas
Insecte, fauve, espèce de dauphin
Tes cheveux mon ange
L’incendie meurtrier dans la cathédrale
Et la mort du défunt
Ta mine ce matin, la vie à bord du carbone.

L’amour nous penche en arrière
Les agrafes sautent une à une

La lumière se hisse, sort son noyau
Nous mord les yeux

Sommes-nous suivis
Par une petite fumée raide ?

Mais nous glissons sur l’air
Intact de nos visées

Les petites bouches d’amour
De la chimie vaquent

Et penser s’observe dans l’eau
Curiosité pour toutes les parois

Et les jours mangent l’agenda

La lune est aphone
Qu’est-ce qu’elle en sait ?

Migrants, revenants, petits
Apprentis du vent

Les autres aussi essayent
D’affermir leur présence

Avec une espérance de vie
D’un millénaire

Ce seraient des jours
D’une intimité légère

Mais ta forte conscience, c’est habituel
Campe au bord des hublots

Et ton bras dilue l’eau froide
Nu dans la lumière liquide

Et l’eau froide dilue ton bras
Nu dans la lumière liquide

Et les jours mangent l’agenda
Et l’agenda mange l’agenda.

26 décembre 1996, décembre 2003, Douarnenez

A la gare

Non
Je ne m’ennuie jamais
J’observe
Je suis assis sur un banc
J’attends qu’un wagon passe
Rien ne presse
Les jours naissent pour rien
Mais d’ennui non
Jamais
J’attends
Plus ou moins
C’est un wagon
C’est une gare
C’est une pieuvre
Elle renifle
Elle gambade
Sur le quai
Puis change
D’idée
Sans prévenir je veux dire
Qu’est ce que j’imaginais ?
Ça clapote un peu
Je suis à la gare
Assis
C’est un bathyscaphe ici
Ça bourdonne
L’air est tout saturé
De petites racines increvables
Je pense à cette femme
Depuis combien de jours
De… bon sang !
Où est passé l’ordre de mission ?!
On traverse une couche
De menus poissons
Je pense à elle
Qui passe tout entière
Par le hublot du fond
Sans foutre de flotte partout
Pourquoi
Ne descendrait-elle pas du wagon
Tout juste maintenant ?
Un deux
Je passe la serpillière
Un, deux
Circuits de touché
À cause de la pression
Les fuites s’allument partout
C’est toute une affaire
D’aller vider les seaux
Mais d’ennui non
Jamais
La loco grince
Sur les rails
Je suis assis
Au bout du banc
J’observe à nouveau
Les femmes
Ont l’air d’avoir été couturées
Les hommes
Ont l’air
D’habiter sous terre
Un trou chacun
Et la vaste épaisseur
Ça passe au jaune
Sur le quai
La pieuvre explose
Il y a
Ces affiches de publicité
Pleines de soifs amusantes
J’observe ma tête
Amusée
Sur une vitre qui passe
J’ai meilleure mine
De jour en jour
Je m’ennuie
De moins en moins.

Sans date, Lons le Saunier

Désinfection

Nous attaquons la cuisine
Et ses nombreux détails

Le buffet de formica bleu m’échoit
Les ustensiles, les boîtes, les plats

Il est dix heures du matin
Si j’en crois la lumière du balcon

Il faut passer le liquide glissant
Sur chaque centimètre carré

Chaque angle, tout soulever
Mouiller les rainures et les gonds

Chaque dent de fourchette
Chaque picot des râpes

Ça sèche à l’instant sans trace
Ais-je déjà nettoyé ce col de bocal ?

Pourquoi n’utilise-t-on pas des bains ?
Pourquoi n’abandonne-t-on pas ?

Respirer sous le masque est pénible
Et la peau sue dans les gants

Je regarde souvent du côté du balcon
J’attends de voir les oiseaux

Tout cet ennui ne pèserait rien
S’ils se posaient maintenant.

10 octobre 2008, An Ividic, 9h44

De chez JuriGène™

Et au réveil en somme il était mort
Ainsi se termine l’étrange histoire
Du type construit par JuriGène™
Un type affreux vous pouvez croire

En fait on voudrait se demander
Pourquoi vers la fin il a laissé
Au fils, au père, ses poursuivants
La possibilité de le fiche bas

Le fils l’a manqué, le père est derrière
On avait si peu de munitions (quatre)
Le fils flanque dans la porte la dernière
Le type de chez JuriGène™ a gagné

Et pourtant le voilà calme et couché
Et le père a tout loisir d’arracher
Du chambranle la flèche explosive
Et de lui planter plaf dans le cou

À bout portant à bout portant
On a beau sortir de chez JuriGène™
Les yeux fermés, paisible et dégagé
Au réveil, en somme, on est mort

Je sais je sais on ne devrait pas
Tirer le portrait d’un mercenaire
Avec mystère, mais pour en dire ici
Davantage il faudrait l’inventer.

Penvenan, 6 février 2008

Les mouches

Un jour
J’ai fait une boucherie de mouches
Avec une écramouillette
En plastique
Ça m’a guéri d’en tuer plus
Je ne saurais dire pourquoi

Mais il vrai qu’ici
Nous n’en avons guère plus
De cinq à la fois
Et qu’il nous est loisible
De les voir audacieuses
Officielles et véloces

À une époque
J’en enrôlais
Dans des espèces de cirques
Je les voyais capables
D’étirer dans tous les axes
La fort complexe
Géométrie spatiale
À qui nous offrons parfois
Nos légers sommets

Je reconnais
Qu’une seule suffit
À bousiller la sieste

On voit bien qu’elles utilisent
Des méthodes de nouage
Inconnues

On voit bien qu’elles s’adonnent
À des géographies
Sans persistance

Mais comme pour la chauve-souris
La mouche, moins sauvage
Laisse après elle
Ce bref historique du geste
Par lequel on peut présager
De la sous-structure polycristalline
Du monde entier
C’est-à-dire
Sans suite ni terminaison.

7-13 août 2007, Kergloff-Vihan

Égal à deux

Au fond, je me fiche

Quand j’additionne
Les plats de minutes
Passées dans l’actualité

À m’empiffrer de petites choses
Bien volatiles
D’obtenir moins d’éclairage

D’obtenir moins d’éclairage
Qu’à partager, disons
Deux petits tours de tronc

De la vie d’un arbre
De la vie si solide tard le soir
Sur une pelouse urbaine

Ou bien d’aboutir
-Tous calculs vérifiés-
A moins d’appétit pour la suite

Qu’à pinailler deux minutes
Aux marées hautes
D’un seul buisson

– Trois insectes filaires
Et une goutte de pluie
Rencognée dans un pli –

Je me fiche au fond
Quand j’additionne
C’est imparable

Mais l’ensemble des phénomènes
Égale toujours à deux
Je veux dire un chiffre rond

Virgule quelque chose
Je ne dis pas qu’il faille
Sortir de table

Je dis que tout cela
Produit bien d’une buée
Qui m’encrasse

Et me saoule.

24 juin 2007, au cinéma Rexy, Tours

Golem

Alors le maître glissa le plat du pouce
Au front de la bête

Une dernière fois
Et le sachant, s’émut

Un instant, qui dû paraître
Un début, c’est-à-dire

Photographie de l’éclosion
D’une bulle de glaise

Alors la bête, sans une hâte
Dit : maître, votre dernier voeu m’a

Alors la bête tressaillit
Maître, votre dernier voeu m’a

J’ai voulu te donner d’être tendre
Dit le maître sachant qu’Elle ne finirait pas

Et il y avait dans la créature
Tout l’arc vertébral

Et le tout début du baiser
Dans l’atroce de sa bouche

Et l’humidité sourdait d’Elle
Petit œil de sève de la prune

Et parfois dans le haut du ciel
Et parfois dans les remuements

Maître, votre dernier vœu m’a
Mais lui ne put soutenir son regard

Ni l’entendre s’arrêter davantage
Ni risquer la moindre cruauté

Avec un mot de courage
Ou quelque bonne perspective pour le tard.

23 juillet 2006, Colognac