Bombes

L’église est bombardée de très haut
Dards minuscules d’une rare densité
Tirés au rythme d’un par an
Mille ans par nuit

Les fumées planent, horizontales
Je lui en montre les rubans
L’impact est redoutable
Le ciel absolument bleu

D’abord, elle ne me croit pas
Puis des plaques perforées
Tombent à plat
Incandescentes et voraces

L’église est la proie de la vitesse
Le village, d’une ruée de plomb
Nous n’essayons pas de filer
Le bulbe du clocher éternue en dedans

Des fragments d’enveloppe en métal
Tombent à une allure de feuille
Peau morte de l’armure
Quelque part accroupie là-haut

On ne voit rien venir
Et ça nous entre dans les pieds
Sans voir l’humble trésor de nos peaux
Il est trop tard il est trop tard

Il est trop tard il est trop tôt.

9 octobre 2005, Faches-Thumesnil

Hôtel

Dans la chambre d’hôtel
On pose ses affaires sur la table

La fenêtre est à peine ouverte
Il est assez tard

De la lumière passe encore
Entre les pans d’immeubles

On est seul ici avec quelque chose à finir
Les commodités n’ont pas d’attrait

On ne retournera pas au bar
On n’allumera pas la télé

On transporte avec soi l’essentiel
Dans un ordinateur en métal

Fin mars
On a passé le ciel à la serpillère

Il fait beau comme au futur été
Pas assez chaud pour trainer dehors

Avec la nonchalance que l’on aime
On a passé vingt minutes en bas

Acheté des cigares
Déployé les pages d’un journal

On a un peu lu en braille
Les aspérités de l’actualité

On a un peu détaillé
La conversation des types appuyés

Dans l’ambiance cordiale de l’heure apéritive
On a payé

La semaine suivante
On chercherait la plume et du papier.

31 mars 2005, Hôtel Astoria, Brest

Une ombre

J’ai vu la bête sans épaisseur
Le haut chien noir à tête de chat

Finir de traverser la route
Manger les phares devant moi

Et son ombre verticale très dense
Aussitôt glisser dans les buissons

Dont la maigre peau végétale
N’a pas pu frissonner comme moi

Ni tout de suite en l’absorbant
Ni maintenant que j’y pense

J’ai vu la bête sans épaisseur
Que l’autre fois j’appelais puma.

27 novembre 2004, Douarnenez

Sept vies

Au moment où nous entrons dans le boyau
Sale compagnie à tête de chien

Barda pour trois semaines c’est-à-dire
Sans soleil, sans pain, sans nuit

Quelque chose nous arrête, bruit d’aile
Ou battement artériel du terrain

Une épine épingle ton sac de combats
Et tu le vois, au ciel, un œil, non ?

Pour l’instant nous tenons la totalité du monde
Pourquoi nous entrons, qui sait ?

A-t-on besoin d’enfoncer des gars
Au flanc de la colline ? On l’a rasé déjà

N’attendons rien de l’officier qui sait
Nous marchons, verrons bien.

Au moment où nous sortons du boyau
Sale compagnie à tête de taupe

Barda pour plus rien, c’est-à-dire du chien,
Gale, soif, tourner après sa queue

Quelque chose nous empêtre, la broussaille
Minérale du soir, pleine d’yeux

La ronce assaille la crasse, huit semaines en bas
Et tout l’embarras du quant-à-soi

Pour l’instant, nous tenons la totalité du terrain
Pourquoi nous en sortons, qui sait ?

A-t-on besoin d’extirper les gars du flanc
De la colline : elle a déjà fermenté

N’attendons rien de l’officier qui savait
Mais respirons, verrons bien.

Au moment où nous explosons le boyau
Sale compagnie à tête d’emploi

Basta pour les enterrés, le monde est neuf
De ce côté nous avons faim

Quelque chose nous agace, un bruit d’aile
Et le sang cogne aux tempes, tu sais bien

Une épine te déchire l’oreille, nous surveillons
Du sommet, l’avancée de l’ombre

Pour l’instant, nous tenons la totalité du monde
Connu, pourquoi nous en sortons ?

A-t-on besoin de dissoudre ces grands types
Dans le silence d’oiseaux des collines ?

Ne voulons rien des derniers rayons,
Frémissons, frémissons, verrons bien.

29 mars 2004, 2h, Douarnenez

En résumé

Pour résumer les choses, l’ère informatique préfigure, avec ses images, ses schémas, son style de connerie, une nouvelle façon de comprendre notre présence au monde.

Pour résumer les choses, nous mâchons l’air et la plupart des détails s’en vont dans la déglutition. Nous pouvons verser le langage aux systèmes d’échantillonnage.

Pour résumer les choses, à ce stade du tralala quantique, je barbote dans ce système d’explication du monde depuis quatre mois et ça pourrait durer sans épuiser aucun détail.

Pour résumer les choses, le monde est indescriptible. Pour de nombreuses raisons, c’est insupportable et il faut opérer en continu des fixations déterminantes arbitraires.

Pour résumer les choses, il est anormal de chahuter ici des concepts arrachés à l’opacité du monde par la physique, à grandes lampées de fixatif et aux frais du contribuable.

Pour résumer les choses tout à fait, il devrait être entendu que l’ensemble des méthodes que nous employons à tout bout de champ pour résumer le monde n’est que cela.

Une espèce de tentative de garantir les affaires. Nous suggérons de bouger dans le brouillard, avec aussi peu de visibilité que dans le noir, mais sans craindre de tomber.

3 juillet 2004, 00h46, Douarnenez

Le boucher

Je m’entraine à contempler
Votre stupeur dit le boucher

Et à produire des émincés
De pensée vaine

Quand j’arrive à vous
Avec la tête sanglante

Et le tablier blanc assorti
Aucun n’ose rien dire

Quant à Monsieur Rimbaud
On lui scie l’os de la cuisse

J’y pense trois minutes
Scier de l’os vivant au 19ème

Mais n’importe où
L’herbe est toujours l’herbe

Avez-vous quelque chose
De difficile à déclarer ?

Quand j’ai traversé le mur
Moi je n’ai rien vu venir

Ici, il n’y a plus rien
Qu’un intense remuement d’air

Et deux silhouettes sonnées
Pourquoi voulez-vous

Jeune homme
Compliquer les choses ?

Nos yeux voient la couleur :
Le monde est coloré

Je transporte du cadavre
Et vos prochaines stupeurs

Et je m’entraine à contempler
Vos silhouettes

Et la fumée, ah la fumée…
Dit le boucher

En ouvrant la cage thoracique
D’une flamme de briquet

Ne croyez pas, comme je l’ai cru
Traverser difficile

Ne croyez pas, comme je l’ai cru
À l’aller simple

Ne croyez pas non plus
Ce que j’en dis

Le mur peut vous rester sur l’estomac
Précisément dit le boucher

Et il tâte l’image de la sentinelle
Toujours bloquée à mi-mur

Je vous détache un kilo d’air remué
Vous m’en direz des nouvelles

Mon discours est compliqué
Mais les enfants aussi

Doivent s’habituer
À la vie qu’on leur fait

Autant poursuivre
Si vous aimez la boucherie

Nous l’aimons, choses pour la bouche
Dit la sentinelle

Donnons du hachoir à ces os
Et voyons voir ce qu’il en sort

Quelle moelle s’en échappe
Et quelle mort frappe

Et si fantôme ou pas
Mais rien n’indique

Que les fantômes soient dépourvus
De squelette, bien vu

Pour un type entre deux
Dit le boucher

À la sentinelle toujours là
Au mitan du mur

On n’en sortira rien
À ce rythme-là

Hormis l’intense remuement,
Des centigrammes de pensée vaine

Et d’ailleurs,
On ferme maintenant.

8-24 mars 2004, Douarnenez

Musique : Miguel Constantino, voix : Pascal Rueff © 2004

Fauve

Un grand fauve se plaint
Sur l’autre flanc du lac :
On dirait qu’il aime un arbre.

Mais le fauve mange l’arbre.
Et tantôt il le dévore, oui
Et tantôt il les plaint.

10 février 2004, Lac de Chalain

Portes en Ré

Tables, meules, îles, plaques
Tornades, tourmentes

Famille, dont l’île
Est la moins entreprenante

Quelques-unes, très lentes
Braquent

Leurs caps charruent
L’eau transversale

Et le delta se vide en décembre
Halé par la tournure

Voyez comme elles opèrent
Leur quasi-révolution de planète :

Les îles respirent
Comme en hiver on respire

Un seul mot d’ordre :
Que rien à bord ne se déchire.

23 décembre 1999, Les Portes en Ré