Hôpital de nuit

Dans la chambre habitée
Par les troubles urinaires
J’ai perdu la conscience
Pourquoi suis-je ici ?

J’attends dans un lit roulant
Qu’on me fiche à manger
Ou qu’un diagnostic oriente
Le solde du temps

On m’a rangé côte à côte
Ce lit du garçon ramassé
Endormi sept ans, garçon
Sans idée du monde entier

Ce n’est pas l’hôpital du soin
L’infirmière est transparente
Une vieillarde clignote
Le diagnostic est perdu

Trente ans de voyage en lit
Ne t’inquiète de rien
L’inquiètude est pour moi
Petit gars, pense à flotter

Plus tard, on en aura besoin
Je m’occupe de chercher
Pourquoi ce type fuyant
Aurait quelque chose à dire

Maintenant je me demande
S’il ne t’a pas touché
Il a la même tête qu’un type
Que j’ai déjà méprisé

Maintenant nous jouons
Je suppose, du même rêve
Il y a trente ans pour toi
Et pour moi ce matin

Et cela nous donnera
D’être âpre et suspicieux
Et d’autre part fasciné
Par les arbres et nager.

8 octobre 2005, Rennes

Bombes

L’église est bombardée de très haut
Dards minuscules d’une rare densité
Tirés au rythme d’un par an
Mille ans par nuit

Les fumées planent, horizontales
Je lui en montre les rubans
L’impact est redoutable
Le ciel absolument bleu

D’abord, elle ne me croit pas
Puis des plaques perforées
Tombent à plat
Incandescentes et voraces

L’église est la proie de la vitesse
Le village, d’une ruée de plomb
Nous n’essayons pas de filer
Le bulbe du clocher éternue en dedans

Des fragments d’enveloppe en métal
Tombent à une allure de feuille
Peau morte de l’armure
Quelque part accroupie là-haut

On ne voit rien venir
Et ça nous entre dans les pieds
Sans voir l’humble trésor de nos peaux
Il est trop tard il est trop tard

Il est trop tard il est trop tôt.

9 octobre 2005, Faches-Thumesnil

Contact

J’arrête un couple
Dans la rue

Vous avez vu ?
Nous sommes là

On apprend
Dans le même temps

Que la terre
A été pénétré cette nuit

Toute surveillance tue
Par un arbre électrique

Comme elle n’en a pas subi
Depuis ses débuts

Et qu’un ministère
Prévoyant conserve

Douze heures intact
Dans un site secret

Du désert profond
À l’opposé d’ici

Une parcelle de ce contact
Sans équivalent

Et vous ? me disent-ils
Tandis que je m’éloigne

Vers un autre couple
Je n’y suis plus déjà

Je ne reste pas longtemps
Dans ce genre de rêve.

1 octobre 2005, Douarnenez

Dingue

Je vous regarde passer
Moi dangereusement détaché

On aurait des fronces au ciel
À bien regarder

Et des averses de caoutchouc
Les murs ont l’air souple

J’ai l’air de peser
D’un début de liquidité

En traversant la cour
Mais je m’en fiche

On a tout logé maintenant
Dans une tête d’épingle

On s’est condensé
Dans une seule granule

Il n’y a pas plus incassable
Dans le domaine humain

Et j’observe ma frange
Dangereusement détaché

Mais rien n’empêche d’avoir froid
À une extrémité

Soudain ou de s’empiffrer
De fumée je me demande

Si toute cette fumée en gelée
N’est pas le monde

Ou dans un état de stupeur
Qu’on n’aurait pas découvert

Ça dure comme ça veut
Ni froid ni confortable

Ni désastreux ni désespéré
On a l’air détaché du mur

De l’escalier, du chat, de soi
Minuscule œil perché

À se regarder passer
Dangereusement libre.

30 septembre 2005, Brest

Stéréotype

Elle s’était mise en danger
Dans une affaire de mœurs

Où j’avais trempé
Page trois du journal

Un numéro jamais sorti
De nos bousculades

Elle avait sa mentalité mâle
À cette époque-là

Entrer dans le corps de l’autre
Un pied par terre

Politique du moindre dégât
Vider la boîte d’allumettes

Dans des passades vives
Et les types les plus brefs

Mais elle avait l’outil
Pour les gazouillis de mouche

De l’affection durable
Dans des espèces d’avenirs

Je ne parlais pas assez vite
Pour avoir l’air de mentir

D’ailleurs je ne mentais pas
Elle s’était mise à l’amour

En page trois du moins
Voilà la version du journal

J’apprenais pour ma part
À lever la pellicule

Des flaques de sous-bois
Sans les déchirer

J’aurais pu l’écorcher
Elle avec la même délicatesse

Elle s’était mise en danger
Tout à fait renseignée

J’ai trouvé ça dans les archives
Et ça m’a ému, tu vois, ce risque.

19 octobre 2005, Douarnenez